« Pourquoi tant de laine » de Natacha Sansoz

« Pourquoi tant de laine » de Natacha Sansoz

La laine est au cœur du travail de Natacha Sansoz. Elle s’y intéresse à travers les pratiques ancestrales et contemporaines liées à sa transformation sur le massif pyrénéen et à l’étranger. 

Artiste textile et performeuse, son approche anthropologique l’amène à aller à la rencontre d’habitants, d’artisans, d’éleveurs ; à collecter des gestes, des outils, des savoir-faire, qu’elle transmet dans ses œuvres et ses installations participatives. Dans le cadre de sa résidence de recherche itinérante à travers les Pyrénées (2024-2026), elle crée le personnage « La Colporteuse » pour poursuivre son travail de collectage au sein de la filière laine.  

© Natacha Sansoz

Portrait de Natacha Sansoz

Au Carla-Bayle, 2025

Le Petit Prince de Saint-Exupéry voulait qu’on lui dessine un mouton : il aurait sans doute été heureux de rencontrer Natacha Sansoz…

Car cette dernière ne les enferme jamais dans une boîte en bois et elle fait bien plus que les dessiner : elle apprend à les connaître, elle les suit dans la montagne, elle utilise des monceaux de laine qui sans elle auraient été perdus et elle transforme cette laine brute pour en faire des œuvres originales, personnelles ou collectives.

Si un mouton lit cette présentation, et qu’il rêve de devenir une star, il faut qu’il demande à Natacha Sansoz d’être son impresario. Et ce mouton peut venir, sans papier, de n’importe où : Géorgie, Cameroun, Québec, Pays Basque du Sud ou du Nord : Natacha accueille à bras ouverts les moutons du monde entier et, avec les troupeaux, ceux qui les aiment et les respectent : bergers, tisseurs et tisseuses, feutrières et muletiers, taiseux de la montagne et simples passants des vallées.

La laine, le tissu, le tissage, la tapisserie, sont au cœur d’innombrables mythes et légendes du monde entier. On pense bien sûr à Pénélope, qui défait chaque nuit ce qu’elle a fait le jour, mais Natacha Sansoz est plutôt du genre à aller de l’avant. Il est peu pertinent d’évoquer Arachné, la tisseuse devenue araignée, punie par Athéna parce qu’elle avait trop d’orgueil : ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher car la modestie et l’humilité du travail manuel sont bien plus au cœur du projet que la volonté d’éblouir. Et Natacha Sansoz a peu de points communs avec la Belle au Bois dormant qui, piquée par sa quenouille, va attendre passivement l’arrivée du Prince Charmant.

En fin de compte, c’est plutôt dans la réalité quotidienne, dans le terre-à-terre du savoir-faire partagé qu’il faut chercher l’héritage de l’artiste ce qui n’exclut ni l’in vention, ni l’imagination. D’une certaine façon, son projet, dans sa volonté d’être ancré dans le présent et de vouloir ce présent meilleur, est en même temps utopique et concret. C’est sans doute pour cela qu’elle veut s’incarner « colporteuse », pour porter à la fois un message, un geste, un signe et quelques rêves.

Natacha Sansoz tisse des nacelles entre le quotidien d’un territoire et la volonté d’en garder des empreintes. Entre l’éphémère et l’universel, l’appel des chemins et la chaleur de l’atelier, le nomade et le sédentaire, le travail de Natacha Sansoz est une tapisserie où chacune et chacun peut tendre son fil.

Texte écrit par Bernard Baune

Entretien avec Natacha Sansoz

Galerie du Philosophe, Association Rue des Arts, 9130 LE CARLA-BAYLE

1. Natacha Sansoz, la première question à poser brûle les lèvres puisque c’est le titre même de votre exposition : pourquoi tant de laine ?

2. Pour au moins deux raisons. D’abord, la laine est un des matériaux qui correspond le mieux à ma démarche artistique. Je suis originaire des Pyrénées et j’y vis actuellement, au cœur des montagnes. Les brebis, les troupeaux, les bergers, les ânes, les sentiers, la transhumance : toute l’imagerie qui tourne autour de ces mots est un vecteur fondamental de création pour moi, avec ce que cette imagerie contient de symboles autour des liens humains et de la noblesse du travail manuel, même le plus simple. Ensuite, se demander « Pourquoi tant de laine », c’est aussi se demander « Pourquoi tant de rebus » ? La laine est considérée comme un sous-produit de l’industrie agro-alimentaire et elle est souvent détruite. Or elle peut être utilisée d’innombrables manières ; travailler à partir de ce matériau, dans le cadre de mes expositions et de mes performances, c’est la rendre visible, accessible, présente et, donc, source de nouvelles pratiques.

3. Ceci nous amène au thème de l’exposition : « LES SAVOIR-FAIRE ». La laine semble un excellent support pour l’illustrer. Qu’en pensez-vous ?

4. La laine est au centre de nombreux savoir-faire : de l’élevage des moutons jusqu’au tissage et au feutrage, en passant par le tri de la laine, le cardage, le lavage, elle est représentative des enjeux qui se nouent dans mon travail et, en particulier, celui de la transmission des savoirs et, donc, des savoir-faire. Pour pouvoir transmettre, il faut accepter d’apprendre. Ainsi, je me suis formée au feutrage, une technique ancestrale, universelle et sans machine. Je me suis aussi initiée à d’autres approches techniques, au Québec, en Géorgie, au Cameroun, afin de dominer au mieux le procédé. En France, dans la Creuse, où existait une très longue tradition du feutrage, j’ai mis en rapport des personnes âgées, qui en conservait la mémoire, avec des jeunes femmes qui souhaitaient reprendre le flambeau. Un document sonore, présent dans le parcours de l’exposition, aborde ce moment de mon parcours.

5. Donc, dans votre démarche, vous mettez à la disposition des autres le savoir-faire que vous avez-vous-même reçu ? Comment ?

6. Je vais donner deux exemples très simples. Au Carla-Bayle, je vais animer une résidence du 12 au 18 mai 2025, en partenariat avec Rue des Arts. Ensuite, par mon activité au sein de l’association TRAM-E, qui est implantée à Oloron-Sainte-Marie, dans le Béarn, et qui vise à allier savoir-faire traditionnels et création contemporaine. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter notre compte (https://www.facebook.com/trame.asso/).

7. Rue des Arts, qui s’est un peu renseigné sur votre parcours a découvert qu’on vous surnomme parfois Natacha « Cent Choses à la Fois », ce qui ne surprend pas quand on voit l’énergie que vous mettez dans vos projets. Votre résidence au Carla-Bayle sera donc une étape de votre « transhumance » : quels sont vos autres projets à moyen terme ?

8. Un projet important, et qui transparait dans l’exposition du Carla-Bayle, est celui de la colporteuse. A la fois issue de la tradition et de mon imagination, c’est un personnage qui ira, avec son âne, à travers montagnes et vallées pyrénéennes, pour transmettre et recevoir, avec toujours, au cœur de ce parcours, le thème de la laine. Le but final reste le même : intervenir dans le réel de l’autre grâce à une esthétique du relationnel à la portée de tous.

Entretien mené par Bernard Baune

Résidence d'artiste

© Natacha Sansoz

Natacha Sansoz est invité en résidence d’artiste du 12 au 18 mai au Carla-Bayle, à la Galerie de l’Hirondelle. Elle propose des initiations autour de la laine, avec une pratique textile participative ouverte à tous.

Lundi 12 mai, 15h-17h : tri de laine 

Mardi 13 mai, 15h-17h : lavage-séchage de la laine

Mercredi 14 mai, 15h-17h : cardage de la laine

Jeudi 15 mai, 15h-17h : initiation au feutrage, fabrication de pré-feutre

Vendredi 16 mai, 15h-17h : fabrication d’un grand tapis en feutre

Samedi 17 mai, 15h-17h : finalisation du tapis, broderie et feutrage à l’aiguille

Atelier gratuits, sur réservation. 

Laine fourni par le GAEC du plein air (Carla-Bayle)

À propos de l'artiste

Née à Carcassonne en 1981, diplômée des Beaux-Arts de Bordeaux en 2005, Natacha Sansoz est « une artiste de la relation ». Sa pratique s’oriente sur des champs artistiques croisant l’art, l’artisanat et la performance. L’implication des personnes dans son processus de création est récurrent.
Fondatrice de l’association TRAM-E, espace d’expérimentations, de recherche et de pratiques collectives, autour de la fibre, ancré dans un territoire montagnard, empreint d’un patrimoine pastoral et industriel textile.

Exposition du 13 avril au 15 juin
Ouvert du mercredi au dimanche, de 14h à 18h
Vernissage samedi 12 avril à 18h