« How I fell in love with the enemy » de Lucie Havel

© Lucie Havel

À propos de l’exposition

Entre le monde végétal et le monde artistique, il existe de nombreuses connexions.

Tout d’abord, les plantes servent souvent de thèmes aux peintres : les jardins d’Henri Martin et de Claude Monet, les arbres peints par Camille Corot ou Théodore Rousseau en sont des témoignages lumineux.

Certains thèmes mythologiques, comme celui de la nymphe Daphné qui se transforme en laurier pour échapper aux avances brutales d’Apollon, ont nourri l’imagination des plasticiens depuis l’Antiquité.

Les plantes sont aussi des pourvoyeuses de teintes et de textures indispensables aux peintres, aux sculpteurs, aux artisans. Impossible d’être exhaustif mais on peut au moins citer la garance ou le pastel, cette dernière constituant un élément capital de l’histoire de notre région.

Lucie Havel et la Renouée du Japon représentent une synthèse de tout cela car, comme le dit la plasticienne quand elle parle de son « partenaire » :

  • Mon sujet, c’est mon medium.

La Renouée n’a pas seulement envahi l’espace végétal, elle a aussi envahi l’imaginaire et l’atelier de Lucie Havel. En multipliant les explorations et les expérimentations autour des différentes parties de la plante, elle a ainsi obtenu des teintures et des textures qu’elle donne à voir dans l’installation de la Galerie du Philosophe.

La démarche n’est pas seulement artistique : elle est aussi anthropologique et ethnologique. L’objectif est de nous (ici, nous=l’espèce humaine) amener à nous poser des questions sur la légitimité de notre positionnement et de notre action au cœur du monde vivant.

Qu’est-ce qu’une espèce invasive ? Qui envahit quoi ? Quel avenir dessinons-nous avec les matériaux à notre disposition, matériaux désirés ou non ?

Autant de questions contemporaines et essentielles que l’exposition « How I fell in love with the enemy » suscite avec pertinence et sincérité.

Echange avec Lucie Havel
12 juillet 2025, Rue des Arts, Carla-Bayle

  • Lucie, le titre de votre exposition et celui de votre catalogue, publié en 2020, est « Comment je suis tombée amoureuse de l’ennemi » (Titre original : « How I fell in love with the enemy »). Très beau titre, qui attend des explications… Alors, qui est cet ennemi et comment tombe-t-on amoureuse de lui ?

L’ennemi dont il est question est une plante, la renouée du Japon. C’est une plante qu’on qualifie d’invasive parce qu’elle occupe une place que l’homme ne souhaite pas qu’elle occupe. C’est une rebelle qui vit sa vie et déploie ses rhizomes sans se soucier des règles humaines de bienséance biologique. Jusqu’ici, malgré des investissements considérables, aucun moyen d’éradication n’a été trouvé. Il est vrai qu’à Rotterdam, où je vis, elle cause de nombreux dégâts et que les campagnes de contrôle coûtent cher mais on peut voir sa présence et son expansion autrement : on peut la respecter, voire l’admirer, à la façon dont les Grecs anciens admiraient leurs ennemis. On peut avoir un autre point de vue que le mépris ou le rejet et chercher à lui trouver une place. On peut la respecter et s’attacher à elle. Donc, d’une certaine façon, tomber amoureuse d’elle.

  • Comment la renouée du Japon est-elle arrivée en Europe et comment avez-vous fait sa rencontre ?

Elle est arrivée au XIXème siècle en Europe, dans les bagages de Philip von SIEBOLT, un médecin de la Compagnie hollandaise des Indes en poste au Japon. Il a récolté là-bas des plantes locales qu’il a rapportées dans son jardin de Leyde aux Pays-Bas. Puis il a fondé une compagnie horticole spécialisée dans l’importation de plantes orientales. En 1848, son catalogue propose ainsi à la vente des renouées du Japon. La renouée du Japon a eu un succès rapide car elle a de nombreuses qualités (élégance du port, floraison automnale, richesse en nectar) mais, de nos jours, elle est devenue indésirable.

Moi, je l’ai découverte dans le jardin de mon atelier et j’ai décidé de travailler avec elle. Elle est passée de sujet de surprises à objet d’études. Désormais, je la considère comme mon principal partenaire de travail.

  • Comment décririez-vous votre démarche artistique ? Quelles en sont les sources ?

Pour résumer, je dirais que mon sujet, c’est mon medium, et mon medium, c’est la renouée. Ceci implique que mon activité n’est pas seulement artistique (d’ailleurs, j’ai abandonné très tôt le désir de « représenter », qu’il s’agisse de portraits, de paysages ou de natures mortes), elle est aussi anthropologique et ethnologique. Avec la renouée, je crée des teintures, des textures, des matériaux, des composés et je les donne à voir, à découvrir. Les possibilités sont illimitées. Ainsi, même la laine des moutons qui se nourrissent de renouée devient un objet d’expérimentation plastique pour moi.

  • En résumé, ce que vous proposez aux visiteurs de la Galerie du Philosophe, c’est bien plus qu’une installation artistique ? Comment le définiriez-vous ?

Ce que je souhaiterais, c’est que cette installation puisse permettre d’ouvrir un ou des débats sur la place des différentes espèces dans l’espace du vivant. Si l’on pouvait déjà remettre en question la vieille hiérarchie aristotélicienne sur la prééminence de l’homme dans l’univers, ce serait une première étape. La question des espèces invasives n’est qu’un aspect d’un débat plus vaste ; j’ouvre quelques portes, je propose quelques voies de réflexion qui ne se limitent pas au rejet pur et simple de ces espèces.


© Lucie Havel

À propos de l’artiste

Lucie Havel est une artiste française résidant aux Pays-Bas. Elle a grandi dans le Sud de la France, dans un territoire où la chasse occupe une place importante. Lorsqu’elle demande à un ami comment il peut tuer un animal, ce dernier lui répond qu’en passant du temps dans les bois et en chassant, il participe à la nature et la comprend. Havel se questionne alors sur la distinction nature/culture, si prégnante dans nos sociétés. Influencée par l’archéologie et l’ethnologie, elle s’intéresse aux relations qu’entretiennent les humains avec leur environnement. Dans les années 2010, elle décide d’adopter une approche écologique et de ne plus utiliser les matériaux traditionnels de l’art. Depuis, elle travaille avec la renouée du Japon.


Site internet de artiste

Exposition du 13 juillet au 14 septembre 2025
Ouvert du mardi au dimanche, de 15h à 19h
Vernissage le samedi 12 juillet à 18h

On en parle :